dimanche 29 mai 2011

Caprice blanc... Émile Nelligan



 Caprice blanc 

L’hiver, de son pinceau givré, barbouille aux vitres 
Des pastels de jardins de roses en glaçons. 
Le froid pique de vif et relègue aux maisons 
Milady, canaris et les jokos bélîtres. 

Mais la petite Miss en berline s’en va, 
Dans son vitchoura blanc, une ombre de fourrures, 
Bravant l’intempérie et les âcres froidures, 
Et plus d’un, à la voir cheminer, la rêva. 

Ses deux chevaux sont blancs et sa voiture aussi, 
Menés de front par un cockney, flegme sur siège. 
Leurs sabots font des trous ronds et creux dans la neige ; 
Tout le ciel s’enfarine en un soir obscurci. 

Elle a passé, tournant sa prunelle câline 
Vers moi. Pour compléter alors l’immaculé 
De ce décor en blanc, bouquet dissimulé, 
Je lui jetai mon cœur au fond de sa berline. 


Émile Nelligan

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