dimanche 29 mai 2011

La Vierge noire d'Émile Nelligan

 La Vierge noire 

Elle a les yeux pareils à d’étranges flambeaux 
Et ses cheveux d’or faux sur ses maigres épaules, 
Dans des subtils frissons de feuillages de saules, 
L’habillent comme font les cyprès des tombeaux. 

Elle porte toujours ses robes par lambeaux, 
Elle est noire et méchante ; or qu’on la mette aux geôles, 
Qu’on la batte à jamais à grands fouets de tôles. 
Gare d’elle, mortels, c’est la chair des corbeaux ! 

Elle m’avait souri d’une bonté profonde, 
Je l’aurais crue aimable et sans souci du monde 
Nous nous serions tenus, Elle et moi par les mains. 

Mais, quand je lui parlai, le regard noir d’envie, 
Elle me dit : tes pas ont souillé mes chemins. 
Certes tu la connais, on l’appelle la Vie ! 


Émile Nelligan

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire