vendredi 22 février 2013

A lord Durham de François Xavier Garneau

A lord Durham

de François Xavier Garneau



Salut à toi, Durham, au caractère fort,
Et sois le bien-venu parmi les fils du Nord.
Toi qui marchas toujours droit, grand dans la carrière;
Qui n'as jamais fléchi, ni regardé derrière;
D'un principe sacré, l'espérance et l'appui,
On te dit au Sénat aussi stable que lui.
Sur cette terre vierge où tu viens de descendre,
Les coeurs sont vifs, mais droits, et sauront te comprendre:
Le champ est vaste et noble, il est digne de toi.
Si, l'orage, en passant, creusa dans un endroit,
Profondément le sol, objet de sa furie,
Ce malheur est commun à plus d'une patrie.
Quel pays n'a pas eu ses troubles, ses malheurs!
Les peuples comme l'homme ont leurs jours de douleurs!
C'est au chef prévoyant à refermer la plaie,
En jetant loin de lui la sanguinaire claie,
Instrument suranné d'un pouvoir ombrageux.
Jette un voile d'oubli sur ces temps malheureux;
Pardonne. Le pardon est un noble apanage;
Par là, vraiment, de Dieu nos Rois sont une image.
Et si jamais un jour, ils demandaient nos bras,
Tu verras des guerriers braves dans les combats;
Ils sauront racheter une erreur de leurs frères,
Et mourir noblement, pour le Roi de leurs pères.
Voilà, Durham, l'espoir d'un peuple qui toujours
Fut fidèle à son Roi, même aux plus mauvais jours.
Quand la France oubliait sur ces rives lointaines
Nos ayeux; eux là bas combattaient sur les plaines
De Ste. Foy! Durham, l'avenir le verra,
Sur ce grand continent le Canadien sera
Le dernier combattant de la vieille Angleterre.
Ensemble tous les deux tombés sur cette terre,
Au milieu du fracas, le flot républicain
De leurs nobles débris ne voudra laisser rien.
Mais pourquoi dévoiler des jours qui sont à naître?
Hélas! nous, orphelins, ne serons plus, peut-être.
Notre sang, notre nom, c'est le crime d'Adam,
Que le père transmet jusqu'au dernier enfant.
Ah! quel homme! que Dieu! couvrira cette trace?
Le préjugé la creuse, et rien, rien ne l'efface.
Pourquoi donc nous, enfans de ce même pays,
Ne serions-nous pas tous des frères, des amis?
Nos ayeux, autrefois, ne formaient qu'un empire,
Que le tems, dans son cours, mit un siècle à détruire.
Sous d'autres cieux lui-même il nous a réunis;
Et le même drapeau nous verrait ennemis!
C'est le pur sang Normand qui coule dans nos veines, -
Des Talbots, des Richards, de ces grands Capitaines
Qui portèrent si loin la gloire de ton nom,
C'est ton sang le plus noble, ô toi, fière Albion!
Toi, Durham qui descends des preux de la Neustrie,
Cimente l'union; que ton nom nous rallie.
Écrase sous tes pieds la haine et les discords
Qui couvrirent nos champs de carnage et de morts.
Comme des ennemis animés de vengeance
Deux partis tous les jours se trouvent en présence;
Chacun a sa devise et chacun son drapeau.
Lance ces signes vains du tragique tréteau;
Et que chacun soumis à la même justice,
N'ose pas demander, dans sa noire malice,
La fortune et le sang d'un ami, d'un voisin,
Pour s'enrichir ainsi d'un ignoble butin.
Combien la haine aveugle! il est tel qui préfère
Aider un étranger à secourir son frère.
Le sang, le nom devient cause d'exclusion:
Triste et funeste effet de la dissention.
Peuple étranger, dit-on, là bas sur cette terre
Vous avez de César mérité la colère;
Que de Jérusalem le temple renversé
Fasse voir aux Hébreux que Titus a passé!
Durham ferme l'oreille aux conseils de vengeance,
D'un peuple sans appui prends sur toi la défense.
Oui, sois juste pour tous; mais non, ne souffre point
Que le puissant haineux dépouille l'orphelin.
Réforme les abus, remonte vers leur cause;
Que ton oeil pénétrant dévoile toute chose.
La Constitution a mis entre tes mains
Son sceptre et son pouvoir: de tous ces grands engins
De tant de bien, de mal, l'usage est difficile;
Mais avec un coeur droit, tout nous devient facile.
L'édifice est ici bien moins vaste et moins grand
Que celui que tu sus, d'un bras ferme et puissant,
Dépouiller en un jour de ses trappes gothiques,
Reste de la frayeur des pouvoirs despotiques,
Quand les barons Normands élevaient leurs châteaux
Sur la pointe d'un roc hérissé de canaux.
L'oeil exercé, d'abord, en aperçoit les vices;
Et faits en ce moment, de sages sacrifices
Lui rendraient tout l'éclat d'un système parfait,
Où l'utile et le grand, tout se réunirait.

Moi, j'aime la beauté d'un souvenir antique,
J'aime à voir au Sénat un nom grand, historique;
Je crois voir les exploits de célèbres ayeux,
Et leur gloire renaître ainsi devant mes yeux.
Il faut laisser au coeur parler la poésie.
Que l'âme deviendrait sans elle rétrécie!
Je crains le froid calcul d'un Barême envieux,
Quand il parle au Sénat d'un peuple malheureux.
Washington, je crois voir baisser ton Capitole;
Je tremble pour le sort du peuple Séminole,
Car devant les petits les faibles ne sont rien;
On sait qu'un parvenu fut rarement humain.
Ô! vous, chers Canadiens, quelle est la main habile
Qui pourra gouverner votre barque fragile?
Craignez l'appât trompeur d'un trop vaste océan,
L'Union est pour vous un théâtre trop grand.
Notre langue, nos lois, pour nous c'est l'Angleterre;
Nous perdrons langue et lois en perdant cette mère.
Elle a souvent juré de nous les conserver;
L'honneur et l'intérêt la feront adhérer
À ce serment sacré, resté loi de l'empire,
Et que rien ici bas ne peut rompre ou détruire.
Le Canadien, 8 juin 1838.

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