vendredi 4 octobre 2013

C'était un petit garçon

C'était un petit garçon... par Marcel Dugas


Je blâme également et ceux qui
prennent parti de louer l'homme, et
ceux qui le prennent de le blâmer, et
ceux qui le prennent de se divertir; et
je ne puis approuver que ceux qui
cherchent en gémissant.
PASCAL


Il s'appelait Mathurin et, tout jeune, il s'était « engagé »
dans les épluchettes de blé d'Inde comme violoneux. Il
jouait, jouait, jouait. Et derrière lui, traîné par une corde, son
petit cochon le suivait. Il ne pouvait guère s'en passer: c'était
son alter ego, son indispensable condition d'existence. Et
avec ça, il était triste. En lui se débattaient tous les petits
diables souffreteux qui avaient passé sur terre, toutes les
petites filles qui n'avaient fait que pleurer et qui, devenues
grandes, continuaient à être des petites filles à pleurer,
pleurantes. - Et puis, un bon petit coeur, le coeur un peu bête
des coeurs bons, celui dont on dit en riant: « Vous savez,
c'est un enfant, nous le briserons à l'heure venue, et après
qu'il se sera vidé de toutes ses colères et de toutes ses larmes,
on le roulera vers la mort, dans les langes d'enfant semés de
petites croix, ce qui est une façon définitive de rouler les
enfants, quand ils sont redevenus, parfois, des enfants
enfants. »
Il avait une âme de Petit Chose, de Jack et de Poil de
Carotte, et toutes ces âmes mises à l'épreuve en même temps,
 
différentes quoique soeurs, quand elles se mettaient à battre,
chacune de leur côté, il lui paraissait que sa poitrine allait
s'ouvrir et tomber, là, dans la rue, et qu'on lui volerait même
ça, sa poitrine malade. Pauvre petit jeune homme!
Le jour, vêtu d'inconscience et de désirs morbides, à la
saison d'été, il se mariait à la nature et lui faisait place en son
âme. Il s'amusait à suivre le vol des papillons qui le grisaient
de couleurs et, volontiers, il s'imaginait un pareil destin:
mourir d'une mort vaine, étouffé dans un calice de roses, ou à
la première heure automnale, lorsque le froid transperce
d'agonie les choses d'azur, les insectes trompés par les
fausses promesses d'un été sans limites!
Et l'hiver, si son chagrin s'ingéniait en tortures, il se
couchait au fond du jardin glacé et, laissant pleuvoir les
étoiles liliales, se sentait mort, statue de neige. Pauvre petit
jeune homme !
Il dormait mal, la nuit, toujours réveillé par des
cauchemars et le battement de ses artères. Il rêvait à des
choses indicibles et la volupté le conduisait jusque sur les
tours de Notre-Dame. Là, il rayonnait, taquinait la lune et les
astres, parlait à ses anges gardiens, à des compagnons morts
et à une petite fille qui s'était éteinte, un jour, d'avoir pleuré
sur son gilet. Pauvre petit jeune homme!
Longtemps, il erra sur les routes; il connut des joies
traversées d'orages et ce que l'on est convenu d'appeler
l'humaine misère. Ayant appris à lire, il passait ses jours dans
Rabier, Forain, Caran d'Ache, et les autres. C'est vers eux
qu'il allait instinctivement les caricaturistes et les
dessinateurs gais. Et son tempérament fantasque s'y
alimentait d'une tristesse immense. C'est pourquoi, de
 
préférence à tout, il les lisait. Son visage s'éclairait à la
lecture d'Achille fourre son nez partout. Un moment, il
exultait - la durée d'un éclair - et la nuit se remettait à
descendre.
Un jour, il s'assit au bord des chemins qui étaient croches,
il s'assit et demeura longtemps à regarder le ciel, la verdure,
les arbres et, là-bas, la mer roulant en bruit profond et sourd.
Il leva ses mains dans la lumière, les fit danser et rit à gorge
déployée de voir que les rayons les perçaient ainsi que de
menues flèches. Il respira à longs traits et, portant une main à
son coeur, il sentit qu'il s'en était allé, qu'il était partout et
nulle part, dans le passé ou l'avenir.
Alors, il éclata de rire, et si fort, si fort qu'il mourut dans
son rire, avec le murmure des feuilles, agitées par le vent qui
pleurait sur la terre.
C 'était un p 'tit garçon
Qui p... du vinaigre,
Qui jouait du violon
Sur la queue d'un cochon.

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