vendredi 4 octobre 2013

Quelque part, une ville...

Quelque part, une ville... par Marcel Dugas


Le soleil dans un azur qui semble déborder comme d'un
vase trop plein.
Des causses qui pleurent de toutes leurs déchirures:
pelage de lions déchiquetés dont la carcasse escalade l'infini.
Lent éventail, le silence aère le visage des hommes, celui
de ces passants d'un jour à la recherche des mers mortes.
Des peupliers: ils sont une présence à l'heure déserte de
midi dans ce paysage qu'exténue l'accablante chaleur. Ils
plongent dans la terre où je sais que quelqu'un dort à jamais.
La ville gît dans un cirque de montagnes foudroyées. J'y
venais autrefois, sûr de me retrouver moi-même. Maintenant
je ne suis qu'une ombre fatiguée, errante, dépossédée de ses
trésors. J'erre seul, sans ce battement du coeur qui précède la
vision d'une présence.
Ah! ce coeur est presque calme parce qu'il sait qu'il ne
trouvera plus ce qu'il cherchait jadis.
Des témoins, certes, ceux qui veillent autour d'un
souvenir, d'une dépouille d'âme. Frissons d'hier, je vous
cherche sans espérance.
Le temps a pansé la grande blessure, mais la cicatrice, si
on y touche, remue cette plaie guérie.
En vain l'habitude, les jours, les années auront beau
s'écouler, si le coeur a trouvé un maigre salut, l'esprit, lui,
flotte sur l'abîme. Il en mesure la profondeur et l'éternité.
  
Les lions sur les causses ensanglantés continuent leur
ascension. C'est le soir. Pleurez, mes yeux, devant ce gouffre
où ne remue que la poussière.
Un navire de haut bord qui contiendrait de menus objets,
quelques fleurs séchées, des trésors d'esprit et d'âme, la dure
expérience terrestre, une âme inassouvie, chercheuse d'autres
horizons, d'hommes inconnus, mais cependant encore assez
jeune pour refleurir. Et puis le large, ce départ vers ailleurs,
une Floride baignant dans un rêve.
Esclave aux yeux lourds qui soulèves tes chaînes dans la
ville de fer et de ciment, tu attends ce navire.
Viendra-t-il avant la mort?
- Mets tes mains sur ce mur pour qu'elles y trouvent de la
fraîcheur.
L'horizon est encore vide; cette blancheur hallucinant ton
regard, ce n'est qu'une fumée entre mille qui, dans un instant,
sera dissoute. Il te faudra remettre tes pieds saignants sur une
route tant de fois parcourue.
- Redresse ton front courbé vers la terre: c'est là-haut que
circule l'image de l'évasion.
- La voile de pourpre où dort le soleil de la délivrance est
encore loin.
  
Le coupable est plongé dans le sable jusqu'au cou.
Il n'y a plus qu'un visage qui soit encore libre. Ce visage
regarde le ciel.
C'est une souffrance verticale qui mesure les profondeurs
de la terre et du ciel. Le soleil pose des plaques de feu sur les
joues, le front, la bouche qui bientôt ne pourra plus crier son
horreur.
Dieu va-t-il prendre pitié de sa créature?
Mais voici la nuit, voici la délivrance.
Et il tend vers elle ses mains agonisantes d'où le sable
s'écoule comme une pluie de feu.
Nous le trahirons au printemps.
Oui, ce sera la saison choisie entre toutes. Et nous le
trahirons.
Quand il reviendra de son trop long voyage, nous
rougirons de honte, baissant le front et les yeux comme une
jeune fille ou de très petits garçons.
Nous le trahirons: il l'est déjà dans le désir et la pensée.
Et nous crierons pour notre hypocrite défense: « Tu as mis
trop de temps à revenir. Nous étions las d'être un saint et une
sainte. »
Je dirai: « Une nuit seulement, j'ai tenu Aurore sur mon
coeur. »
Elle dira: « Cela s'est passé comme dans un rêve: ma
volonté était morte et j'avais faim du souvenir de toi qui est
  
en lui. Nous n'étions plus vraiment seuls, moi, sans amour;
lui, sans amitié. »
Et puis, moi, quand il sera revenu, je prendrai Aurore
pour la déposer dans ses bras.
Ensuite, j'irai expier ma trahison sous la corde et la
cendre.
Ah! il faudra bien qu'il me pardonne.

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