vendredi 4 octobre 2013

Un Canadien errant

Un Canadien errant par Marcel Dugas


Pourquoi pleures-tu? Jamais larmes ne furent plus vaines,
plus absorbées par le temps et l'espace. Tu les verserais sur la
pierre, et elles seraient séchées par le vent: aussi inutiles,
aussi dérisoires, n'éveillant aucune sympathie dans cette
étendue, ce pays étranger, ces passants qui sont sourds et
aveugles. Errant sur la planète avec ce coeur gros d'où
s'échappe un cri ou un chant. Mais tout cela est dévoré par le
silence hostile et sans âme. Et tu ne saurais émouvoir
l'inconnaissable où se perd ton esprit et qui t'apparaît lointain
comme un jardin perdu.
Pourquoi pleurer? Si ce chagrin, comme le vent qui te
fouette au visage, ne creuse pas dans le feuillage de ton âme
cette ride, cette bulle d'air aussitôt évanouie, mais qui
rafraîchit lorsqu'elle apporte les perles de la pluie.
Ton pays malheureux! Histoire à dormir debout, les
peuples jeunes n'ont pas d'histoire et par conséquent ignorent
le malheur. Il est heureux, ton pays, et il est content. C'est toi
qui serais plutôt malheureux, car tu regrettes et, lui, ne
s'occupe pas de sa mémoire, s'il en a une. Il est porté par
l'avenir avec des yeux aveugles; il marche à grands pas vers
la maturité, sans se retourner en arrière. Il a raison.
Fais comme lui, oublie-le. Le courant fugitif n'apportera,
d'ailleurs, pas tes mots. Ta plainte est vaine; elle ne saura
même pas émouvoir cet océan.
  
Que sert-il de souffrir et de penser? La souffrance, les
ombres de la nuit prochaine engloutiront ton regard, et tu ne
seras bientôt plus qu'une chose morte.

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