lundi 26 mai 2014

Au prolétaire

Au prolétaire

    Ô captif innocent qui ne sais pas chanter
    Écoute en travaillant Tandis que tu te tais
    Mêlés aux chocs d'outils les bruits élémentaires
    Marquent dans la nature un bon travail austère
    L'aquilon juste et pur ou la brise de mai
    De la mauvaise usine soufflent la fumée
    La terre par amour te nourrit les récoltes
    Et l'arbre de science où mûrit la révolte
    La mer et ses nénies dorlotent tes noyés
    Et le feu le vrai feu l'étoile émerveillée
    Brille pour toi la nuit comme un espoir tacite
    Enchantant jusqu'au jour les bleuités du site
    Où pour le pain quotidien peinent les gars
    D'ahans n'ayant qu'un son le grave l'oméga

    Ne coûte pas plus cher la clarté des étoiles
    Que ton sang et ta vie prolétaire et tes moelles
    Tu enfantes toujours de tes reins vigoureux
    Des fils qui sont des dieux calmes et malheureux
    Des douleurs de demain tes filles sont enceintes
    Et laides de travail tes femmes sont des saintes
    Honteuses de leurs mains vaines de leur chair nue
    Tes pucelles voudraient un doux luxe ingénu
    Qui vînt de mains gantées plus blanches que les leurs
    Et s'en vont tout en joie un soir à la male heure
    Or tu sais que c'est toi toi qui fis la beauté
    Qui nourris les humains des injustes cités
    Et tu songes parfois aux alcôves divines
    Quand tu es triste et las le jour au fond des mines
Guillaume Apollinaire(1880 - 1918)

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