vendredi 4 octobre 2013

La douleur de la ville qui monte au firmament

La douleur de la ville qui monte au
firmament par Marcel Dugas


Cinéma
Le jour, selon son habitude séculaire, ramène ses tuniques
éclatantes qu'il a laissé flotter sur la ville et se retire pour les
offices de la nuit.
Le jour se dépouille de ses couleurs, du cri trop vif de ses
oiseaux, de la pompe qui dérobe les aspects de sa misère.
Avant de s'en aller, il obéit aux lois de la dégradation; avec
des plaintes, il choit sur les ailes molles de l'espérance qui
fléchit.
Tout se replie de la mascarade journalière: choses, bêtes
et gens. Pierrot, exténué, rentre sous sa tente, avec son fard,
ses chevaux de bois, ses jeux de cartes et ses filles. À peine
quelques haillons qui traînent avec les jouets coutumiers de la
peine des hommes. Le cirque va dormir, dort.
C'est le moment de la grâce sanctifiante, et, sous le
glissement des dernières minutes d'or, la face du regret
montre les arêtes aiguës d'un front qu'éclairent des yeux
morts d'adieux.
La grâce du soir, de son vêtement frêle et doux, enveloppe
l'âme des hommes, la grâce qui fait lever les têtes vers des
lumières moins humaines.
 
Mais voilà bien une autre tragédie qui s'annonce. La
souffrance de la terre se déplace; elle change de théâtre.
Regardez-la monter lentement sur les colonnes de l'éther
qui supportent le dais royal où s'éternise, souriant, le destin
des planètes. Elle s'agrippe aux fûts soyeux, aux fûts de
ouate dont elle pénètre, peu à peu, l'architecture fragile.
Ainsi qu'une essence débordée, sournoise et rapide, elle
envahit la voûte. Sa marche est irrésistible; elle ne connaît ni
rives, ni obstacles. Les obstacles, elle les charrie dans son
flot, les noie, les subjugue. Sa victoire est complète: les
chemins sont remplis de vaincus qui s'étreignent et
s'exaspèrent à s'arracher des ténèbres.
Elle s'attaque aux comètes, à cette vie inconnue
fourmillant dans ces mondes mystérieux que, seul, le soupir
de l'astrologue a visités. Elle va, jusque dans cette demeure
d'éternité où les dieux respirent, fleurir d'une blessure le col
d'Apollon ou écraser le sein de Vénus. L'Olympe est secoué
sur ses bases; les dieux trébuchent, tombent et mêlent dans
une clameur leur cri unanime. Et dans ses miroirs, la douleur
renvoie les figures fiancées des olympiens, tordues d'une
grimace pareille.
La souffrance vient de tuer les dieux.
Cette Penthésilée bataille avec les éléments. Elle brandit
son épée dont elle crève les poitrines, abat les troncs, perce
les yeux.
La souffrance vient de tuer les dieux. Derrière le mont
immobile, on perçoit la chute de corps magnanimes qui
sombrent, touchés à jamais du baiser de la mort.
L'espace est outragé de balafres qui ondoient, pleurent du
sang et des larmes. Il se meut ainsi qu'un soldat sublime
 
identifié à l'horizon et qui, remuant, sursautant de douleur,
secoue tout le firmament dans un tressaillement de tortures.
Car la torture est là, qui le poursuit, le talonne, crispe sa
chair et fait grimacer la balafre multiple de la nuit. Le vent
balance avec plus d'âpreté ces balafres qui se promènent de-
ci de-là, se serrent les unes près des autres, échappent
quelques gouttes de sang, puis se disjoignent sur l'horizon.
Ainsi, chaque fois que le soleil s'abîme, la ville est
fécondée par ce sang et ces larmes. La douleur lui refait une
autre jeunesse. Son coeur bat plus fort d'avoir bu la pluie
d'amour, la pluie d'étoiles ruisselant des balafres qui
semblent monter la garde autour d'un destin qui s'ignore.
Et la ville endormie, avec ses fenêtres de silence, ses
habitants qui dorment les poings clos, en rond de chiens
fatigués, se hisse sur l'écran céleste qui grouille, murmure,
clame et plonge dans le matin ressuscité.

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