vendredi 4 octobre 2013

L'aurore sur le lac

L'aurore sur le lac par Marcel Dugas


C'est l'aurore. Silence! Un grand silence à peine violé par
un murmure d'herbe, de feuillages, ou l'aboiement d'un
chien.
Les monts simulent des géants qui étreignent de leurs bras
la surface des flots où le soleil, qui annonce le réveil de la
terre, darde ses couteaux d'or.
Au fond du lac, les maisons de la rive achèvent leur
sommeil de la nuit; tout à l'heure, elles se redresseront en
adoptant leur attitude quotidienne.
Mais chaque soir, quand le soleil s'éteint, elles font une
descente dans le lac et s'y installent pour la durée de la nuit.
Elles se prolongent ainsi en maisons de rêves, d'illusions
et de chimères: elles sont plus captivantes ainsi, par cette
tromperie de l'eau et de la lumière; elles seraient belles à
prendre dans des mains qui les sentiraient fuir.
La nature se plaît à nous livrer des images qui ressemblent
à nos jeux intérieurs, aux formes de clarté et de poésie que
crée en nous la bienfaisance de l'imagination ou du rêve.
La nature est la soeur sympathique et fallacieuse de nos
hallucinations.
Des bouleaux encadrent, dans leur vent de soie froissée, la
cabane où repose un amoureux des bois et de l'eau.
 
Ils sont aériens, légers, graciles, et sauvent le paysage de
l'uniformité; une inquiétude éternelle se traduit par le
mouvement de leurs feuilles; ils sont en perpétuelle errance.
Appellent-ils? Ou sont-ce des aveux qu'ils décèlent? des
plaintes qu'ils livrent aux coins du ciel? ou bien témoignent-
ils de la fragilité des choses par une faiblesse qui s'est
inscrite, visible, en leur aspect végétal?
Ils te ressemblent, pauvre âme craintive, peureuse, pressée
de frissons, et qui s'affine et se détruit.
Aime-les; ils te renvoient ton image. Et cette image, c'est
un fût vernissé qui jette dans l'air son feuillage de perpétuel
émoi. Pouvais-tu revivre sous un plus élégant et léger
symbole après des funérailles vaniteusement chantées?
Tu te cherchais tout à l'heure, et ne savais te reconnaître,
morte, croyais-tu, d'avoir bu le poison de l'expérience.
Ô folle, qui voulais savoir si l'émotion s'éveillait encore
en toi-même, comme jadis, alors que tu croisais les mains
devant ta pâleur!
Ô folle, mille fois folle de ton ivresse intérieure!
Ô folle dont les carrefours envahis de pensées faisaient de
toi une ville prise et livrée au pillage!

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