vendredi 4 octobre 2013

Images

Images de Marcel Dugas
 
Ma tristesse est en vous
Ma tristesse est en vous, essaim bruissant de mes
souvenirs, ma tristesse qui s'appuie avec des paumes tièdes à
votre visage, et qui vous regarde et vous écoute en
frémissant. Elle s'insinue, vous pénètre et crée, par
l'incantation de toute votre vie confuse, une multitude de
figures réelles.
Et je porte intensément la tristesse de ces figures
auxquelles j'ai donné une signification, un rythme, une
flamme.
Je ne cherche point à vous arracher le poignard dont vous
avez voulu menacer un corps trop lâche, trop pénétré d'esprit
et d'âme. Je laisse dans vos mains le flambeau et la lyre, les
clous et les épines, les apprêts de la volupté, du désir et de la
douleur.
Ma faiblesse s'ingénie à vous prêter la puissance, les
aspects du carnage ou de la catastrophe. Je me tiens devant
vous comme hier. Nulle protestation; rien qui simulerait
seulement que la vie, encore en moi, semble s'émouvoir et se
couvrir. Je suis sans esprit et sans âme. C'est de neige et de
glace que mon corps détesté s'enveloppe. Cependant mes
yeux, comme des fauves mal domptés, scrutent et cherchent.
Ils veulent encore voir; ils s'adonnent aux curiosités vaines.
Ils courent à la couronne des arbres où j'ai suspendu dans les
feuilles quelques rêves ardents, sur la mousse où j'ai laissé,
en détresse, le corps tendu de certaines chimères. Ils vont à
 
des livres afin d'y trouver les raisons de la sagesse et de la
folie humaines. Rapides et fiévreux, ils se promènent sur le
décor de la nature et des âmes. Je ne leur impose aucune loi.
Je les laisse se guider selon leur fantaisie; ils me rapporteront,
tout à l'heure, des gibiers que j'aime: la fleur des choses, la
nuance des désirs, l'éclat des glaciers, la structure sinistre et
dénudée des ormes.
Ma tristesse est partout, dans le ciel et sur la terre, au fond
des devoirs quotidiens, au sein de la connaissance et de
l'ivresse. Elle constitue ma nourriture et ma boisson. En mon
rire, elle fait éclore sa fleur d'ombre et d'ennui. Et si je
souffre, je la sens qui m'entoure de son manteau de
mélancolie. J'ignore le nom de ce pays au seuil duquel je la
déposerais comme une chose aimée en lui disant adieu, le
temple où, dépouillant le vieil homme, je naîtrais à la candeur
d'une foi trouvée.
Elle me tient. Sa présence m'emprisonne, me lie par mille
entraves. Je suis le prisonnier de cette « amère et exigeante
maîtresse ». Oh oui! elle est en vous, aussi, inconnue que je
désire et qui dansez, avec des pieds mouillés de parfums,
dans le champ de mon rêve.

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